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Pages culturelles de Saint-Benoît (octobre 2003-novembre 2002) :

Le Provisoire... Une folle aventure !

C'est vrai que la fabrication de cette page traînait… et que nous ne savons pas trop comment nous excuser auprès de Rolland, pour un tel retard… parfaitement injustifié !
Enfin la voilà, et nous en sommes heureux...
Pour cette publication, nous avons juste gommé un nom… celui d'un abbé...
Il faut dire qu'en ce qui le concerne, nos amis du Provisoire avaient fait assez fort, mais bon, l'appeler l'abbé D., au moment où se déroule (octobre 2003) le Bulles-Berry de Bourges, c'est presque un clin d'œil...
Encore merci à Rolland pour ce texte...

Le Provisoire... et la presse...
de la NR :
“ Le Provisoire ” en conférence le 19 novembre
Rolland Henault, donnera mardi 19 novembre à 20 h 30, une conférence publique et gratuite à l'initiative de l'Académie du Centre sur le thème « le Provisoire, c'est toute une histoire ». Cette conférence se tiendra dans les locaux de la chambre de commerce et d'industrie, place Gambetta à Châteauroux. Sont cordialement invités outre les multiples rédacteurs de feu le journal satirique, les diverses têtes de Turcs qui furent la cible constante et caustique dudit organe.

"LE PROVISOIRE", Par Rolland Hénault

Cette conférence fut prononcée à Chateauroux, dans la salle de réunion de la CCI de l'Indre, le mardi 19 novembre 2002, à l'initiative de l'Academie du Centre.

Ici, M. le président (je crois) de l'Academie, présente les mésaventures de Rolland comme celle du Provisoire, avec un humour qui réjouit le conférencier...


Les années 70 et l'information

Une volonté générale parmi les étudiants, les associations, ceux qui ont " fait 68 " de prendre la parole.
" Les murs ont la parole " (Tchou) c'est d'ailleurs un des premiers livres photos sur les inscriptions murales de mai 68 et il est paru quelques jours après ce qu'on a appelé les " événements ".
Ces photos d'inscriptions ont, parfois, fait l'objet de sujets à l'épreuve anticipée de français au BAC. C'est dire la baisse de niveau en 2002 : 20 ans plus tard on apprend aux jeunes à boursicoter, alors qu'on n'est même pas en mesure de leur trouver un vrai travail pour beaucoup d'entre eux.
Et d'ailleurs ils apprennent très mal, car les combines de la Bourse, il me semble, sont surtout rentables aux citoyens, aux drôles de citoyens, dit " initiés ", comme on l'a vu plus tard. De tout ça, on se foutait complètement, on était encore conscients, à l'époque, que l'homme était mortel, que la vie avait un sens, celui qu'on voulait bien lui donner, quand on avait un but.

On y trouve en vrac des citations de Marx, de Marcuse, de Mao Tsé Toung, (les trois " M "), mais aussi d'auteurs français, Léo Ferré, en particulier, dont la popularité revient soudainement parce qu'il représente une chanson de protestation :

Au pays de Descartes
Les conneries se foutent en cartes

Ou encore :
Le rouge pour naître à Barcelone
Et le noir pour mourir à Paris

Ou surtout des anonymes :
Sous les pavés la plage,
il est interdit d'interdire,
jouissez sans entraves,
je suis con je n'ai rien à dire,
etc...

Les journaux issus de ce mouvement sont un peu la traduction locale de la volonté générale de prise de parole. Les titres sont nombreux et le Provisoire participe à l'élaboration d'un numéro de la Revue Alternative sur " la petite presse d'information locale " en compagnie de plusieurs autres représentants de petits journaux de contre-information. En voici le début. La réunion s'était tenue en 1977 à la ferme de Beaumont, à Déols et l'un des animateurs s'appelait Fillioud, il deviendra le fils un peu énervé du Ministre du même nom. Il est encore actuellement le Directeur des programmes d'Europe 2. A l'époque, il portait ces chaussures sans semelle, ce qui n'est pas très pratique, par temps humide surtout.
Il existera même un journal mural, " le cri des murs ". On l'achète et on le colle comme une affiche.
Il y a là un écho des dazibaos de la révolution culturelle chinoise. Le modèle chinois est encore à la mode vers 1976, mais il n'est pas le seul !
Tout cela peut faire sourire aujourd'hui, sauf qu'il existe un mouvement culturel anti-mondialiste, un José Bové par exemple, qui inquiète les tenants d'un monde sans frontières, celui de ces étranges nouveaux citoyens du monde, pour qui, seul, l'argent n'a pas de frontières.
Et il me semble que nous étions de cette famille, avec les moyens de l'époque. Les descendants un peu naïfs des situationnistes, (on disait les " situs ") Guy Debord en particulier, même si nous ne le savions pas.
C'est ce qui nous permet de ne pas être tristes, car une civilisation qui nie les valeurs humanistes élaborées en quatre siècles, pourquoi la regretterions-nous ? Et pourquoi souhaiterions-nous battre des records d'espérance de survie médicalisée en maison de retraite climatisée, épaves et légumes juteux d'une société qui vous presse jusqu'au trognon ?
Mais je ne veux pas vous décourager.

Les Fondateurs du Provisoire

J'arrête ici sur ce thème car je suppose que c'est le provisoire qui vous intéresse d'abord, mais il se situe dans cette mouvance, du moins en ce qui concerne certains de ses fondateurs, qui sont au nombre de quatre:
-Jean-Pierre Dougnac enseignant auxiliaire en économie.
-Raymond Peyramaure, employé à la Société Routière Colas et pas du tout politique, méfiant même, mais soucieux de se désinsérer de la société. Il a créé un cirque depuis, " Trapanelle Circus ", puis les " Oiseaux fous "
-Claudine Arroua, notre secrétaire, employée aux établissements Ballon, matériaux de construction. Elle tape à la machine !
-Rolland Hénault prof de lettres.
Ce qui est curieux, c'est le nombre de personnes que j'ai rencontrées et qui m'ont dit :
" j'étais au début du Provisoire, au tout début...toi tu n'y étais pas encore ! "
Cela prouve le caractère mythique de cet hebdomadaire inclassable.
Dès le numéro deux, un surveillant du Lycée technique, JC Valin, intervient et cherche à diffuser dans les bistrots et les librairies, puisque la Maison de la Presse à l'époque n'est pas très intéressée par cette presse-là...
Il se donne toute de suite un nom : le Préfet Dalphonse ! Le ton lui aussi est donné.
Nous serons tous des journalistes à pseudo, souvent dérivés des noms de rues de Châteauroux, par dérision : Ratouis de Limé, Chaix, Guimou de le Tronche, Mauricette Rollinat, Claude Pinette, Beffroi de la Tour Blanche, Chito des Sables, Agricola Bucolique, Gédéon Duchâteau, Dur Alex, L'Autre, Le Toine de Ch'taneu, Le Tanneur, José Paldir, Léon, Noël et Réciproquement, A Lécoute, Barbançois, Jean Conail, G Rikan, Le cow-boy de Reuilly, V Rault , le Phoque, le Gibet, Mariette, Les Filles, Pancho le dessinateur enigmatique, Jo Jaune, Bob dit l'Ane, l'Affreux dit Ziac, Carco, ....et, plus officiellement, Claude Confortès, Cabu, Cavanna, R. Rageau et même un académicien, pour une seule collaboration : Eugène Ionesco...


Ces participants viennent de tous les milieux, agriculteurs, ouvriers, employés, enseignants, médecins, avocats, professions libérales, chômeurs, lycéens, hommes, femmes, et la plupart ne sont pas des militants au sens traditionnel du mot...
Ces fondateurs ont en commun l'idée de libre-expression, notion un peu vague, pas forcément chargée d'un sens politique, mais liée au phénomène alors très fort des Maisons des Jeunes et de la Culture. Après 68, l'idée que l'on se fait de la Culture au sens où Malraux l'entendait : mettre les grandes œuvres à la portée du peuple, cette idée cède la place à une sorte d'utopie : la Culture peut-être le fait de chaque citoyen. En résumé, chaque homme est un artiste en puissance et a droit à l'expression. Chaque citoyen se transforme par la culture, il se cultive.
Dans le Provisoire, chaque lecteur est en même temps rédacteur s'il le souhaite, son anonymat sera préservé, il pourra dire ce qu'il a sur le cœur, librement. Quels que soient son âge, sa position sociale, ses idées politiques ou religieuses, sauf s'il appartient, de près ou de loin à un mouvement fasciste ou raciste.
Il y a cependant très vite deux personnages tabous au Provisoire : Marcel Lemoine, et, dans une moindre mesure Max Ploquin. Ils sont des intouchables, et je prends la responsabilité de ces choix. Ce sont les seuls cas de censure, avec les histoires de cocus, même s'il y a eu quelques bavures, très peu nombreuses à ce sujet.
Dans notre esprit, la diffamation n'existe pas parce que la vérité est souvent diffamatoire. Tous les petits journaux de cette mouvance sont d'accord sur ce point.
Plus précisément le premier Provisoire est né à Gireugne dans un appartement de fonction où résidait alors le couple Peyramaure.
La première maquette fut fabriquée par Raymond Peyramaure dans un baraquement de la société routière Colas.
Ce qui prouve que les préfabriqués sont utiles et que la Colas est une entreprise de haute valeur artistique dans la formation des animateurs culturels.
Je me demande ce qu'on attend pour lui attribuer la médaille des arts et lettres. Elle a prêté involontairement ses locaux à des jeunes (car il y a 30 ans, ce qualificatif pouvait encore nous convenir !) pour le développement de la connaissance. Elle les a mis, si je puis dire, sur la bonne voie.

La recherche de l'imprimeur

On mesure mal aujourd'hui ce qui pouvait faire problème dans l'impression d'un petit journal provocateur, certes, mais au début, relativement gentillet.
Tous les imprimeurs de l'Indre en 1974 refusèrent ce qu'ils appelaient un " torchon ".
Même chose dans les départements voisins, si bien que c'est à l'équipe de Hara-Kiri, et Charlie Hebdo que nous nous sommes adressés. Nous avons donc été imprimés pour le numéro 1 par les Presses de la Bûcherie, à Belleville, celle qui imprimait Hara-Kiri.
A cette occasion j'étais allé au siège de ce journal sulfureux. C'était un jour de comité de rédaction. Je les emmerdais donc un peu, d'autant plus que ces réunions étaient abondamment arrosées et l'on y voyait, m'a dit mon ami Rageau, qui y travailla après sa retraite d'inspecteur des Impôts, des créatures féminines sans rapport direct avec le travail de journaliste, dans des soirées festives hautes en couleur, bien qu'elles s'y déroulassent si je puis dire plutôt en bas, ou, si l'on préfère, un peu au-dessous de la ceinture..... J'y fus reçu par Odile, l'épouse du Professeur Choron, Reiser, Cabu, Cavanna, Gébé, Fournier, Siné, Delfeil de Ton. Je me souviens qu'ils nous indiquèrent l'imprimeur, et signalèrent dans l'Hebdomadaire la naissance du Provisoire, dans la chronique de Willem.
Choron était un ancien d'Indochine, un type complètement à part, qui n'avait peur de rien. Il venait de vendre sa Cadillac rose, qui lui permettait auparavant de rassurer les résidents des commissariats de police...Par la suite j'ai connu à Saint-Maur, un détenu qui n'ayant pas de boulot avait été embauché par Choron, qui lui fournissait le gîte, le couvert, et même les femmes, car Choron était généreux, il louait une maison close, Rue Blondel, pour 24 heures au minimum. Il continuait en somme la tradition des armées coloniales avec les bordels de campagne.

J'allai chercher le premier Provisoire aux presses de la Bûcherie, je le rapportai dans une valise et je me souviens que c'était lourd.
Ca allait devenir par la suite encore beaucoup plus lourd de conséquences.. A partir du numéro trois ou quatre Peyramaure m'expliqua la technique de la mise en page. La formation fut rapide :
-Il te faut une planche à dessin, une règle et puis des ciseaux, tu colles les articles dessus. T'essayes d'avoir les mains propres, sinon, ça se voit après.
On avait décidé d'être mensuels mais nous n'avons pu dépasser les 9 numéros annuels. Ensuite, nous fûmes le seul mensuel au monde à paraître 5 fois par an !
Il fallait être mensuel pour bénéficier du routage 206, alors on mettait mensuel sur la page 1 et on bénéficiait du tarif réduit.
C'est Peyramaure qui a trouvé le titre. Comme on réfléchissait là-dessus depuis deux heures, Peyramaure a eu une idée, un soir :
-Ecoutez, les gars, on se fait chier pour rien, on va d'abord mettre un titre Provisoire...
-Oui, mais c'est aussi difficile de trouver un titre provisoire qu'un titre définitif.
-Alors les gars, c'est simple, on va l'appeler le Provisoire.
C'était plein de ce bon sens qui manque si souvent aux gens qui ont fait des études...
Quelques temps plus tard, c'est encore Peyramaure qui trouva la formule " Mensuel du Berrichon Evolué " !
Peyramaure laissa le Provisoire à la suite du premier procès, avec l'armée. Il fait quand même partie des 4 personnes qui ont donné 9 fois 400 F pour payer chacun des premiers numéros ! En 1975, c'est un acte civique. Ca fait un peu plus de 3500F ! qu'on ne s'est évidemment jamais remboursés...
Ce fut Gérard Sadois qui devint le second Directeur. J'étais rédacteur en chef perpétuel, ce qui signifie à peu près " Boîte aux lettres ".
On ne pensait pas du tout à l'argent, d'ailleurs on n'en avait pas. C'est ce qui fait la grande différence avec les entreprises culturelles d'aujourd'hui, et ce qui est le repère le plus significatif de la déchéance intellectuelle de l'an 2000 et après. On voulait faire de l'agitation culturelle, au fond. Il ne s'agissait donc pas de demander des subventions !
De l'agit'prop' selon la formule de Prévert et du groupe Octobre durant le front populaire.
Peu à peu d'autres sont venus, on a été une dizaine assez vite, tous bénévoles bien entendu ! Puis, après 81, on comptait en général entre 15 et 20 rédacteurs réguliers auxquels s'ajoutaient une vingtaine d'occasionnels. Au total près de mille personnes ont du écrire dans le Provisoire entre 1975 et 1993 ! Le Provisoire était un atelier d'écriture libre, et, personnellement je l'ai toujours considéré ainsi.

 

Je ne m'éloigne pas du Provisoire en parlant de l'équipe de Hara-Kiri, car, à l'époque, c'était l'esprit Hara-Kiri, qui nous animait, les maisons closes en moins, et bien que lecteurs du Canard, nous ne le considérions pas comme suffisamment proche de nous. La presse pour nous c'était Charlie Hebdo et Libération première mouture, qui d'ailleurs prit notre défense lors du premier procès intenté contre nous par le ministre des armées. Libé avait une méthode simple, quand un journal était poursuivi en diffamation, il publiait aussitôt l'article incriminé. C'était du grand Libé, et à sa façon, il appartenait à la petite presse.
Ces deux journaux, Charlie Hebdo (durant mai 68, il y avait eu l'Enragé) et Libération ont renouvelé la presse, révolutionné même. Ils sont retombés ensuite dans une sorte de routine un peu conventionnelle, mais ils ont joué un très grand rôle.

Le rythme était trouvé, les points de vente aussi, une quarantaine sur l'agglomération de Châteauroux, une cinquantaine sur le reste du département.
Nous refusions l'abonnement, nous considérions que seul l'acheteur volontaire du journal était un authentique lecteur. Nous refusions toute forme de publicité.
Le tirage, commencé à 1000 exemplaires, passa à 1200 au numéro 9 et suivit une lente progression. Le procès intenté par l'abbé D. nous fit monter à 3000 exemplaires et nous valut un article dans " Le Matin ".
On peut rappeler qui était alors l'abbé D. : un curé pittoresque, qui désenvoûtait les hommes, les femmes, les vaches et même les mobylettes. Nous pensions qu'il donnait du Berry une image un peu archaïque et il fut notre première grande tête de Turc. Nous remercions Dieu de l'avoir mis sur notre chemin !
Après 1980 le tirage fut de 5000, puis très vite, 7000 et même 7500 exemplaires en 1989 !
Selon les Renseignements généraux, nous touchions 40 000 personnes ! Nous n'avons jamais touché à l'argent du Provisoire, ce qui nous permit de payer les frais des procès et d'avoir, vu la baisse des coûts de fabrication, un numéro d'avance en permanence.
Ce qui prouve qu'un journal qui ne paie pas ses collaborateurs survit bien plus facilement que celui qui les rétribue.
Je crois bien sûr que nous étions sur la vraie bonne voie et que si la culture française républicaine est définitivement morte et enterrée, c'est le pouvoir de l'argent qui l'a tuée.
Je pense que les français ont le pouvoir et la culture qu'ils méritent, c'est-à-dire pas grand chose, par rapport à notre état d'esprit d'alors.



L'Evolution du Provisoire et les procès

Entre l'année 1975 et l'année 1993, le Provisoire a changé de format, de directeurs, titre uniquement symbolique, d'imprimeurs, de collaborateurs et il a même changé d'orientation.
On est surpris de la violence verbale des premiers numéros. On est vraiment dans la provocation de mai 68 !
Je pense en particulier à cette histoire d'O rurale, d'un érotisme agricole très avancé, au récit, jour par jour de la Mort de Franco, aux articles anti-militaristes, aux attaques contre les élus, surtout de droite.(Lectures ?)
Puis, il y a eu le procès intenté par le Ministre des Armées lui-même, par le biais du général Trébel, que nous appelions hardiment Trémoche.
Ce fut un ministre nommé Bourges (qui n'avait pas fait son service militaire, et qui n'était d'ailleurs pas Berrichon !) qui lança officiellement l'affaire.
Je me souviens que la première nous n'étions pas rassurés. Ca se passait comme dans les films, avec une petite dame qui tapait à la machine dans un coin. Il y avait Peyramaure et moi, ce qui était une erreur, car, juridiquement, un seul nom suffit.
Maître Thibault permit qu'un seul de nous deux fut condamné, en tant que représentant du mensuel.
Ce procès ne nous apporta pas beaucoup de nouveaux lecteurs, mais il permit une prise de conscience : Le Provisoire, malgré ce que certains appellent ses outrances, existait :
Des partis politiques nous défendirent : Parti Communiste le premier dans le Journal La Marseillaise, Parti Socialiste, Radical-Socialiste, Parti Maoïste, dit PCMLF, très implanté dans la région de la Châtre, syndicats, journaux nationaux (Libé et Charlie-Hebdo, Union Pacifiste, alors puissante) et des personnalités qui pesaient lourd quand il s'agissait de défendre ceux qui dénonçaient les atrocités de la guerre, la torture, même sur le mode de l'humour le plus provocateur :
- Pierre Vidal Naquet, Historien, prof à la Sorbonne et auteur des " Crimes de l'armée française " chez Maspéro, éditeur alors prestigieux dans le monde politique, qui envoya un article au Monde.
- Henri Alleg, ex-directeur du quotidien communiste Alger Républicain, torturé lui-même et auteur d'un ouvrage aussitôt interdit " La Question ", qui faisait référence sur le problème de la torture. Je l'avais lu, sous le manteau, lors de sa parution en 1958, et qu'il était interdit.
- Claude Bourdet, Général de Brigade, compagnon de la Libération, fondateur du Nouvel Observateur et de Témoignage Chrétien.

On était vraiment pris au sérieux, on était reconnus utiles.

C'est pourtant le second procès intenté par l'abbé D., traité d'Ayatolla et surtout 22 fois qualifié de con dans un même numéro, qui nous rendit célèbres dans le département et même un peu plus loin (Le Journal Le Matin s'était spécialement déplacé de Paris ! Radio Luxembourg évoqua l'affaire). Le tribunal avait estimé également qu'une expression comme : "L'abbé D., dont la seule apparition du visage constitue un attentat à la pudeur" était diffamatoire. Je n'ai jamais compris pourquoi et je persiste à croire que c'est beaucoup mieux qu'une expression plus simple comme par exemple "gueule de cul".
Des prêtres évolués se désolidarisèrent, dans un texte publié par le Provisoire, de l'abbé D., qui n'était pas l'exorciste officiel du diocèse et d'ailleurs l'article incriminé était le fait d'un catholique au-dessus de tout soupçon, enseignant (non, il est parti depuis longtemps !) dans un célèbre établissement privé de Châteauroux.
En même temps, les collaborateurs du Provisoire, de plus en plus nombreux, s'affirmaient plus volontiers politiques et on sentait venir l'élection de Mitterrand. On se politisait doucement à la manière du Canard Enchaîné, surtout à partir des années 81-82. Mais on restait toujours anarchisants, anti-militaristes, écolos et surtout joyeux.
Le succès du Provisoire est du au ton humoristique, qui manquait très souvent aux autres journaux de même origine. Cela est du à la personnalité des participants, mais peut-être aussi à un vieux fonds gaulois, qui caractérise le berrichon...c'est une autre question, mais sans l'esprit particulier du public berrichon, le Provisoire aurait mal fonctionné...


On n'arrivait pas à être sérieux !

A partir de 1981, j'étais persuadé qu'aucun procès ne serait plus possible. J'ai reçu des dizaines de menaces de procès en diffamation, mais personne n'allait jusqu'au bout. J'attribue cette situation au fait que sous François Mitterrand, la France n'était pas procédurière. D'ailleurs, ce qui me confirme dans cette idée, c'est que tous les ouvrages mettant en cause Mitterrand lui-même n'ont ommencé à paraître que lorsque sa maladie s'est aggravée.
Les procès qui suivirent, en 1993, concernent des personnes privées atteintes déjà de cette manie aujourd'hui si courante de plaider contre n'importe qui et à propos de n'importe quoi !
Le Provisoire, en 2002, serait impossible, déjà, pour cette simple raison : la liberté d'expression se confond complètement avec le pouvoir de l'argent et la frénésie judiciaire des Français aujourd'hui montre une rupture avec cette tradition satirique qui existait depuis des siècles.


Les grandes affaires du Provisoire

La première grande action du Provisoire fut donc dans l'expression d'un pacifisme, très en vogue d'ailleurs dans les années 70 (Le Larzac, les mouvements écologistes, la presse anti-militariste ou même les partisans des " comités de soldats "...le nucléaire). Il y eut dès le début des années 80, une chronique officielle du mouvement " Union Pacifiste ", sous la signature du Poitevin Râblé, de son vrai nom Raymond Rageau.
La tentative pour donner du Berry une image plus valorisante que celle du pays des sorciers est également permanente. Là encore on voit combien l'évolution est grande. On n'étudie même pas le phénomène de la sorcellerie mais on institue un folklore destiné à faire vendre, seul mot d'ordre semble-t-il de cette civilisation entre guillemets.
La satire des élus et des tenants du pouvoir est plus traditionnelle. Elle est parfois ambiguë, car la limite entre la dénonciation d'une injustice et la délation pure et simple n'est pas toujours évidente. Pour éviter les dérapages, le Provisoire a toujours incité au droit de réponse !
Et ceux qui le nient, eh bien je ne peux en dire qu'une chose : ils mentent !
Le provisoire ne correspondrait plus à une époque qui faisait du bricolage une qualité, et de la perfection technique un très grand défaut !
Il faudrait réinventer autre chose mais il y a tellement de titres dans la presse, que je vois mal la place du Provisoire.

Par contre on peut tirer un bilan du fameux mensuel du Berrichon évolué, qui vivait sans chefs, sans hiérarchie, et qui a joué un rôle dans des affaires importantes :
- L'affaire Mis et Thiennot, où le Provisoire fut le premier journal à relancer le procès sous la plume de Léandre Boizeau.
- Le rattachement de l'Indre à la Région Limousin, alors qu'il est question aujourd'hui d'une structure administrative qui s'appellerait le "Berry".
- Le soutien plus ou moins humoristique à la candidature Coluche. Notre journal publia un nombre effarant de personnalités qui soutenaient le Président Coluche sans le savoir, puisque nous ne leur demandions pas leur avis. Nous découpions les noms dans la nouvelle République !
- L'affaire Bokassa et ses neuf décorés berrichons !
- La Centrale de Saint-Maur
- La piste de Déols
- Le harcèlement permanent des notables satisfaits et le soutien à tous ceux qui n'avaient jamais la parole !


Fonctionnement du journal

C'est la partie la plus originale, car, sauf la première année où on était 4 ou 5, le journal n'a jamais réuni aucun comité de rédaction, d'ailleurs les participants ne tenaient pas, en général à être connus des autres.
Alors ils envoyaient des articles à la Boîte Postale, puis à mon domicile. A partir des années 85, on me téléphonait, souvent je me déplaçais, j'allais récupérer l'article, je ne changeais pas une virgule, sauf si on me le demandait. Ou alors je l'écrivais si la personne le souhaitait.
Beaucoup d'adultes ont ainsi appris à écrire et je suis toujours persuadé que l'activité que j'avais au Provisoire, qui me faisait connaître des personnes et des milieux très différents, c'était le prolongement de ma profession d'enseignant. J'y passais d'ailleurs facilement une vingtaine d'heures par semaine. Un emploi du temps de prof  
On pourrait dire que j'étais une sorte de petit chef du journal, mais ce serait une erreur, puisque je n'ai jamais refusé un article, mis à part les deux personnages que j'estimais intouchables, et les articles dont je ne connaissais pas les auteurs.
La fabrication de la maquette du journal avait lieu dans une pièce, à mon domicile. Les 20 pages du journal étaient accrochées aux murs et on le remplissait au fur et à mesure des semaines. Le dernier jour était particulièrement fiévreux car "boucler" c'était s'apercevoir, au dernier moment, qu'il restait un blanc, ou qu'on avait oublié un petit article.


 

Influence et portée du Provisoire.

Elle est très difficile à mesurer. Mais vers 1990, elle était grande, puisqu'on invitait les responsables à s'exprimer dans Télérama, sur France Culture, sur FR3 (j'en fus le grand témoin, durant une heure et le rédacteur en chef de FR3 m'a assuré qu'il n'avait pas été félicité pour cette idée originale.
Même attitude quand, en mai 1991, je passe dans les mêmes condition sur RBS. Aucun des responsables politiques de l'époque n'accepte de dialoguer avec moi sur l'antenne, ni même de parler de moi, fut-ce pour m'injurier, sauf Jean-Yves Gateaud, qui, sans partager forcément tous mes points de vue, fit preuve d'un bel esprit d'indépendance.

Rolland Hénault


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à suivre...
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