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Pages culturelles de Saint-Benoît (août 2002) :

Boby Lapointe... sur France-Inter

"LE PAPA DES POISSONS", sur France Inter, dimanche 1er septembre 2002, à 10h

Pour la première fois, les enfants de Boby Lapointe, Ticha et Jacky, nous invitent à un repas « familial » et festif reconstitué à Grange Rouge, en présence de leurs amis d’enfance.
Cette fête est l’occasion de restituer avec « un p’tit grain de fantaisie » l’intimité d’une journée dans la maison familiale de Pézenas au « Pays de Boby ».
Présenté par : Janine Marc-Pezet, Réalisateur : Élisabeth Miro

Boby Lapointe...

En Mai 1968, lors du concert de soutien aux grévistes de l'ORTF (à Bobino, s'il vous plaît !), je photographiais, au milieu d'autres chanteurs déjà plus médiatisés, un drôle d'individu qui se dandinait tout en chantant... J'avoue ne pas avoir tout saisi !
Ce n'est que 2 ans plus tard, chez un copain qui avait tous ses disques, que j'ai pu vraiment apprécier la subtilité des textes que chantait ce curieux bonhomme...
Depuis, l'écouter est ma tasse de thé, un plaisir sans cesse renouvelé, et j'ai été triste lorsqu'il y a 30 ans, le 29 juin 1972, Boby quittait définitivement la scène.

Pour fêter cela sans tristesse, je vous fais partager ici le plaisir de la lecture d'un texte de l'ami Rolland Hénault. Il nous l'a offert sans que ni l'un ni l'autre n'ayons pensé que sa publication ici coïncidait avec le trentenaire du départ de Boby.
Rolland avait lu ce texte en conférence à Saint-Benoît-du-Sault, quand la municipalité de l'époque savait encore ce que culture voulait dire et que ça ne rimait pas avec élitisme comme la nouvelle municipalité l'a laissé entendre au début 2001.

En attendant que je retrouve les clichés faits à cette époque, cette page est illustrée avec les images des couvertures des disques de Boby, et 2 clichés de mon ami Jean-Pierre Leloir, Grand Photojournaliste de Jazz avec qui j'ai partagé de très bons moments.

Marcel LORRE.

"ANARCHIE DOUCE", Par Rolland Hénault
(Cette conférence fut prononcée à Saint Benoît du Sault, au cours de l’été 1986, lors de journées consacrées à Boby Lapointe, par la municipalité conduite par Jean Chatelut.
Des artistes du «Point-Virgule» y participaient, et un jeune débutant, un nommé Vincent Roca, faisait alors des débuts prometteurs.
La conférence eut lieu en plein milieu d’après midi, par un soleil asséchant, devant une centaine de personnes. Elle avait été annoncée sur les radios nationales et, en particulier, Radio Luxembourg. Il n’est jamais trop tard pour dire merci.)
Lorsque Jean Chatelut m’a invité à faire une conférence sur Boby Lapointe, j’ai d’abord pensé être la victime d’une mauvaise plaisanterie: me demandait-on, à moi qui lutte en faveur de l’alcoolisme depuis des années, de parler en compagnie d’une carafe remplie d’eau ?
Notez, je n’ai rien contre ce liquide, encore qu’on puisse le trouver paradoxal : l’eau n’a-t-elle pas la réputation d’être mortelle dès qu’on la qualifie d’eau-de-vie ? Mais je m’éloigne du sujet, la tradition veut qu’une introduction introduise, c’est-à-dire, en gros, qu’elle annonce ce qui va suivre.
Je me propose donc de défendre la thèse suivante: Boby Lapointe est anarchiste puisqu’il refuse toutes les règles y compris celles qui prétendent régir la langue française. Comme par ailleurs Boby est un doux et que son action s’exerce de façon indirecte, on peut intituler cette conférence «L’Anarchie douce». Voilà, c’est fait, en principe j’avais prévu ici des applaudissements pour encourager le conférencier, merci.
Je vais donc, très rapidement, car le temps m’est malheureusement limité à cinq heures et demie, attirer votre attention sur le fait suivant, que vous avez sûrement déjà remarqué car vous m’avez l’air tout spécialement éveillés dans cette région du Boischaut Sud pourtant ravagée par les chenilles à cul brun: Boby n’utilise pas le langage pour communiquer mais pour jouer. Encore serait-il intéressant de montrer avec quoi il joue, attention c’est le moment de prendre des notes, on se tait dans le fond, et voilà ce que j’ai trouvé :
1/ Boby joue avec les objets de la vie la plus quotidienne.
2/ Boby joue avec les animaux et c’est moins innocent qu’il y paraît.
3/ Boby joue avec la famille et tous les représentants de l’autorité.
4/Boby joue avec les femmes mais là, par une exquise pudeur et un sentiment chevaleresque rare à notre époque, il joue à être le jouet.
Franchement, je vous plains d’être venus: vous n’aviez donc rien à faire chez vous? Vos maîtresses et vos amants sont actuellement livrés à la convoitise des prêtres de gauche et des bonnes sœurs socialistes, et vous êtes là à écouter un conférencier de deuxième ordre? (ici, j’avais prévu des protestations, tant pis !)

Première partie: Boby joue avec les objets.
Attention! Cette conférence est plus sérieuse qu’on croit !

Les gens intelligents (et ils sont nombreux ici ce soir) auront pu noter que le décor le plus habituel de la vie la plus quotidienne enchante littéralement Boby Lapointe, et tout spécialement les objets qui n’ont pas la réputation d’être particulièrement poétiques. Le texte le plus typique à ce sujet c’est bien sûr le fameux «tube de toilette»: il est plutôt rare, dans la chanson, qu’on réussisse un tube de cette nature en énumérant successivement un peigne à moustache, une serviette éponge, un gant de toilette, un lavabo, un verre à dents, un bidet et un rasoir électrique. Il faut bien convenir que ces objets n’ont pas en poésie la même réputation que les lacs, les couchers de soleil et les petits oiseaux.
Et pourtant vous auriez tort de ne faire que sourire devant la légèreté du propos.
Quelques-unes des plus belles réussites de Trenet sont ainsi des inventaires fantasques comme «L’Héritage» ou «Dans les pharmacies». Même chose chez Ferré avec «Vitrines» ou «Le Marché du poète». Et dans ce genre il y a aussi le merveilleux Boris Vian qui est peut-être le plus audacieux pour faire rimer, dans une chanson d’amour, le frigidaire et l’armoire à cuiller et pour faire valser la moulinette à faire la vinaigrette.
Vous me direz, mais mon pauvre Hénault, où es-tu parti ? Je vous répondrai que l’énumération de ces objets agressivement prosaïques et assez foncièrement populaires nous renvoie une image critique de nous-mêmes: nous vivons, infirmes, au milieu de gadgets parfois amusants mais dont la superfluité est souvent évidente. Ne suis-je pas moi-même la preuve vivante que le rasoir électrique et la crème à raser sont des produits d’une société de consommation absolument délirante ? N’est-il pas plus séduisant pour un homme, un vrai, de ne pas offrir ces visages glabres, qu’exhibent certains dans l’assistance ce soir ? (Les barbus pourraient applaudir, merci !)
Tu ne vois pas qu’on s’emmerde par cette chaleur et il faut en plus que tu viennes nous les casser !
A ce propos revenons à nos moutons.
Boby ne se rase pas, il joue avec la crème à raser, le savon et le verre à dents, comme un enfant dans la salle de bain. Ainsi, les objets sont-ils détournés de leur fonction. C’est particulièrement vrai quand Boby aborde le chapitre de la nourriture. Car s’il existe des chansons à boire, aucun auteur, à ma connaissance, n’a écrit autant de chansons à manger. Boby joue avec les produits alimentaires. J’ai trouvé ainsi, au menu, du haricot d’mouton, des pommes de terre, du cervelas, du saucisson de Lyon, du moka, de la pâtisserie, du camembert, des poires, des saucisses frites, du beurre, de l’huile, des épinards, sans compter les fameuses glaces vanille et citron et je n’ai pas énuméré toute la carte !
J’ai rencontré, après la vaisselle, la poubelle, et même le store à mouches, les couteaux de cuisine, les chaussettes, l’usine où l’on turbine. Or, tous ces éléments du quotidien, comestibles ou non, même ironiquement disposés, enracinent les chansons de Boby dans un paysage très populaire, très populiste. Ils enlèvent, un peu comme chez Prévert, au beau langage et aux belles lettres, leur caractère de caste. Aussi n’est-il pas surprenant que même le bon Verlaine soit rabaissé précisément à l’endroit qui lui convient: vers l’aine !
Que les fameux violons des sérénades évoquent plutôt la vie rude des commissariats, surtout quand on est usager, que les maladies de langueur automnales et les états d’âme romantiques ! Je crois qu’il faut comprendre, dans cette perspective, cet éloge ironique du travailleur vraiment manuel, ce Marcel qui n’est pas un intellectuel, mais qui dispose d’instruments de bonnes dimensions pour exercer ses activités. A ce propos, prenons bien garde de ne pas considérer Boby comme un auteur grossier ou vulgaire sous prétexte que vous, lecteur, vous avez tendance à voir dans certains rapprochements de syllabes je ne sais quels sous-entendus pornographiques.
Ainsi, quand Boby fait dire à l’innocente jeune femme qui aime tant son Marcel «que c’est pour ça que, l’amour même sans amour c’est quand même l’amour», ce sont de nobles nécessités artistiques qui contraignent à prononcer :
«Pour sa queue»
Mais vous n’êtes pas obligés d’y penser finalement
Vous pourriez avoir un peu de respect devant l’artisan aux prises avec les ruses du langage. De même, quand Boby est amené par la force des choses, à scander :

«Il sait de quoi j’ai envie
Il n'est pas si bête,
Il c'est que c'est de son vi
goureux corps d’athlète
»
Ou encore:
«Il fait tout ce qu’il faut pour mon con
Mon contentement»

Il utilise en fait des éléments du langage religieux familier à tous ceux qui, comme moi, ont été élevés chez les frères (si, j’ai deux frères !) et sont habitués à prononcer «confesse» sans forcément imaginer des grossièretés !
Alors, et j’en aurai fini sur ce chapitre, quand Boby chante:
«Il pose sa main sur mon gros bras que m’arrive-t-il ?»
Il traduit l’émoi d’une jeune vierge devant les premières atteintes de Cupidon, et vous, public mal embouché, vous persistez à entendre:
«Il pose sa main sur mon gros braquemart ivetil !»
Et vous n’avez pas honte à votre âge ? Tenez, je suis sûr qu’il y en a parmi vous qui, en entendant répéter :
«Son nœud reucaractère»
Ont compris autre chose… ont compris quoi au fait ?… Et quand je lis :
«Il me sussure le curieux refrain»
Combien ont envie d’entendre :
«Il me suce sur le cul… rieurefrain»
Bon, j’ai terminé sur le chapitre Boby joue avec les objets… Vous voyez bien: vous entendez «zob-jets» alors qu’au début vous entendiez seulement «zobjets», ce qui est assez différent. Vous êtes incorrigibles.

Deuxième partie: Boby joue avec les animaux.

Je pense qu’on peut commencer par observer qu’il est de tradition anarchiste de considérer l’animal à l’égal de l’homme, sans le réduire à un rôle d’esclave. Or l’animal type du bestiaire (excusez-moi il y a trente ans quand j’ai fait mes études ce mot était encore à la mode) libertaire, c’est le chien. Pourquoi ? La question, je la pose, elle est posée, j’attends…
Mais parce que le chien, c’est le contraire du chrétien: nos ancêtres les curés disaient: «mourir» comme un chien, c’est-à-dire mourir comme un instituteur laïque, mourir civilement ! Et d’ailleurs, et ceci prouve, je l’espère, ma grande érudition: on n’a toujours pas de droit d’enterrer un chien dans un cimetière, alors qu’on a le droit d’y enterrer Le Pen, je me demande d’ailleurs pourquoi on ne le fait pas tout de suite, pendant qu’il fait beau et qu’on a de la main d’œuvre !
Mais revenons à nos moutons. Le chien évoqué par Boby n’est pas cruellement andalou comme celui de Bunuel. Il est moins revendicatif que celui de Ferré. Il est gentil, le chien de Boby, compagnon fidèle, copain au sens exact puisqu’il partage avec son maître le pain, ou plutôt le croissant, ce qui est encore mieux !
Rappelez-vous la chanson «Revanche» :

«Le lundi je mendie...
Mais quand c’est qu’c’est dimanche
J’paye un croissant au chien»
Ce chien-là est bien le frère du chien de Chaval, de cet animal philosophe dont on dirait qu’il élève des hommes pour lui tenir compagnie et qui assiste, résigné, à la concrétisation de toutes leurs conneries.

Sans vous ennuyer trop longtemps (il ne vous reste plus que quatre heures à peine), je pense donc qu’on peut affirmer que l’attachement fraternel au chien est une attitude marginale et finalement subversive. Même quand il devient le «Two to two» anglais, il justifie mon titre: «l’anarchie douce de Boby.» Après le chien, il faut dire quelques mots des oiseaux. Vous aurez noté comme moi que chez Boby les oiseaux sont rares. Ces volatiles refusent d’acheter du mouron, ils préfèrent le crottin «d’mouton», est-il précisé dans «Aragon et Castille». Certes, Boby n’en conclut pas, comme Chaval, qu’ils sont carrément des cons, mais ils ne jouent qu’un rôle secondaire.
A vrai dire, l’animal le plus intéressant chez Boby Lapointe est assez inattendu, c’est le poisson ! Doit-on sérieusement évoquer l’influence de la grande bleue toute proche de Pézenas ? Doit-on se lancer dans des interprétations freudiennes sur la mère et la mer ? Franchement, je le crois. Qu’un auteur compositeur ait consacré deux chansons entières à ces lointains ancêtres de l’homme, je ne crois pas que cela puisse être innocent! En tout cas, je me plais à voir là une sorte de nostalgie de la vie aquatique primitive, nostalgie de l’innocence, de la vie d’avant la vie. Il s’agit bien d’une variation originale sur le très vieux mythe du bon sauvage, sur cette croyance au bonheur des temps heureux d’avant l’histoire.
Et il n’est pas indifférent, pour le psychanalyste, que le personnage de la mère soit associé aux poissons dans cette étonnante chanson intitulée «la Maman des poissons». Un texte que je vous propose de regarder de plus près, car il est l’image même de l’anarchie douce.
Rappelez-vous: les poissons «sont heureux dans l’eau profonde car jamais leur maman ne les gronde». Ils sont au sens strict de l’expression «heureux comme des poissons dans l’eau», car dans les fonds marins, l’autorité oppressive de l’Etat n’existe pas.
Certes Bakounine et Proudhon n’y sont pas pour grand chose, la plupart des poissons n’ont certainement pas lu la « Philosophie de la Misère». Mais la mère des poissons est une «maman». Elle est vue comme une protectrice, une couveuse, une compagne, pas comme une éducatrice qui vient imposer ses idées de poissonne autoritaire à ses petits poissonnets !
Elle ne les «gronde» jamais, nous dit Boby, elle est gentille. Elle les approuve même quand ils font leurs conneries de poissons au fond de la mer et Dieu sait qu’il y en a des bêtises à faire dans un endroit aussi vaste. Elle ne fronce même pas les sourcils ! Du coup, c’est la liberté absolue. D’aucuns diraient l’anarchie ! Ces jeunes morveux peuvent se permettre de transgresser les règles sociales. Ils n’en font qu’à leurs têtes de têtards ! Ils n’ont pas de surmoi, ces libres poissons de Summerhill (vous affolez pas, on peut pas tout comprendre, même moi, je comprends pas tout !) Ils sont polissons, ils font pipi au lit, et allez donc !
Pas étonnant que les plages soient dégueulasses et que la mer soit humide au fond ! Et ils mangent pour tout arranger, et ils ne respectent pas les horaires de la cantine et ils se saoulent avec des vers qui ont un «s» ! Et ils s’adonnent même au proxénétisme avec la même allégresse qu’aux joies du mariage !!! Avec cette raie publique qui est bien effectivement une vraie pute puisqu’elle couche avec Pasqua qui est toujours sapé comme un maquereau! Est-ce que je ne m’éloigne pas un peu du sujet ?
Bon, je ne vais pas appuyer davantage, mais il est intéressant de noter que cette nostalgie amusée des poissons a inspiré quelques-uns de nos poètes dits décadents sinon anarchistes! Charles Cros, ému aux larmes devant son hareng saur… Georges Fourest, demandant aux braves sardines de prier pour lui «sans mains, sans bras, sans genoux…» Humour complètement gratuit que tout cela? Je n’y crois pas: oublierait-on que, pour fuir le STO, Boby s’est fait scaphandrier, fasciné par les fonds marins ?
Certes, à la fin de la chanson, Boby mange la maman des poissons avec du citron mais malgré cette fin inattendue, le rêve asocial des fonds marins apparaît comme très révélateur du tempérament anarchiste de Boby.
Normalement, pour ce chapitre, j’aurais du m’en tenir là, parce que ce qui suit est encore plus faible. Mais c’est précisément l’originalité de cette conférence que de ménager des surprises de construction. Voilà : j’avais oublié les chats chez Boby. Et c’était grave, car le chat, au sens propre comme au sens figuré, est extrêmement présent. Et n’allez pas vous figurer que le figuré soit moins propre que le propre car le propre du figuré c’est précisément de figurer par une figure, pour que tout reste propre, je ne sais pas si tout le monde a suivi, la conférence est en vente pour un prix démocratique à la sortie.
Quand je vois vos visages de berrichons évolués sans complexes, je me sens complètement à l’aise pour dire tout crûment que le chat désigne chez Boby une partie du corps féminin qui n’est pas l’oreille, qui en est même situé assez loin! Si j’ajoute que le mot s’emploie de préférence au féminin, je pense que beaucoup d’entre vous ont compris ce que Boby veut nous dire. J’ajoute, pour les malentendants, que le mot «minette», aujourd’hui si courant pour désigner une jeune fille, trouve son origine dans le mot «minet», lequel minet, d’après mon confrère du Monde (pourquoi, les journalistes du Monde ne seraient-ils pas mes confrères ?) Alain Rey, n’est autre que l’ancien mot désignant le sexe de la femme, après tout oui, les femmes ont un sexe, c’est pas moi qui ai créé le monde comme il est, c’est peut-être pas vous non plus, c’est comme ça! Et Boby Lapointe là-dedans ? Justement, la chanson: Embrouille-Minet est extrêmement intéressante. Il y est question d’une jeune personne dont l’animal en question est très heureux et très actif. Mais la conclusion est lourde de sens, la voilà :

"Tu limites ton avenir
A ce qui sur l’heure va venir
Tu n’considères le présent
Qu’en fonction des plus ou moins gros présents
Que l’on fait à ton animal
Et après tout y’a rien de mal
Dès qu’un s’y intéresse
Pour peu qu’on le caresse
Ou à plus forte raison
Si je lui donne un poisson
C’est la jubilation"

On voit, je pense, assez nettement, que si ce chat-là n’est pas celui d’une aiguille, ce poisson figure autre chose. Un organe disons complémentaire du précédent. A ma connaissance, Boby est le seul à employer le mot poisson dans ce sens anatomique et masculin. Mon toujours confrère du Monde Alain Rey ne signale que le sens de «souteneur» en argot.

Ainsi le chat et le poisson se rejoignent-ils comme le féminin et le masculin pour une sorte d’harmonie presque biblique. Mais pas tout à fait: la jubilation finale n’est pas le jubilé sacerdotal (poil à l’occipital). Tout ce que je viens de dire est confirmé par la très jolie «Méli-Mélodie», où Boby emmêle les minets les minous, les nounous, les nénés, pour une sorte de retour à la naissance du monde et au chaos originel, qui est vraiment une manière de chef-d’œuvre. Si l’on ajoute que la mélodie évoque irrésistiblement le grondement d’une portée de chatons et le mouvement des vagues, on est triste de devoir rester, comme moi, une sombre brute épaisse qui ne sait absolument pas chanter !
(Ici, j’avais prévu aussi des protestations)
Ce passage était une publicité destinée à faire plaisir à mon ami Max Ploquin ici présent, qui passe son existence à mettre au monde des êtres humains dont une bonne partie n’était peut-être pas vraiment indispensable !

Troisième partie: Boby joue avec la famille
et les représentants de l’autorité

Attention, nous abordons là l’essentiel de la conférence, la partie véritablement la plus ardue, je demanderai donc au public le plus grand silence… merci… l’exercice est assez dangereux: s’il y a dans l’assistance des gendarmes simples, des adjudants d’infanterie ou des membres du Front national, je leur dis: «ne cherchez pas à comprendre, un accident cérébral est si vite arrivé, nous ne sommes pas des brutes !»
Je crois que le rêve nostalgique d’une enfance bienheureuse de l’humanité apparaît surtout dans l’image qu’il donne de la famille: c’est encore Jean-Jacques Rousseau revu par Sigmund Freud et Walt Disney: les références aux chansons pourraient occuper ici un fort volume! En effet, le langage même de Boby est, dans son essence, un langage d’enfant, non pas un langage infantile évidemment, mais un langage pur, vierge de toute contrainte, encore empreint d’une innocence native: on pense à Prévert et à ses inventaires, à Vian et à ses cantilènes en gelée. Boby énumère le monde comme les premières pages de la Genèse, mais en le bégayant volontairement comme un petit enfant qui joue. (Pour les journalistes de la Nouvelle République, je précise que ce bégaiement n’a rien à voir avec celui de Daniel Bernardet, député-maire de Châteauroux, qui lui, est parfaitement infantile et strictement involontaire).
Pour préciser mon argument, je vous invite à relire «l’Hélicon», l’une des chansons bien connues de Boby Lapointe:
«Mon fils tu as déjà soixante ans [...]
A toi de travailler il serait temps,»

…dit le père, compréhensif, mais excédé à la longue par cette enfance qui se prolonge directement dans le troisième âge, sans passer par l’état adulte.
Or si l’Hélicon est une caricature, cette présentation de la famille est une constante. Ici, la mère est amener à tuer, gentiment, son fils, «à coups d’marteau» ,mais dans «J’ai Fantaisie», c’est la fille qui laisse mourir sa mère. Or, dans les deux cas, ces parents avaient un point commun: ils refusaient les jeux de l’enfance, alors que le jeu est le but même de la vie. On le voit en particulier dans «le papa du papa» : on joue avec son propre nom, avec sa propre identité: il est vrai qu’il est plus facile de jouer avec son nom quand on s’appelle
«Dépêche»
Car alors, comme l’observe Boby, pour peu qu’on ait un cousin qui s’appelle Guilo, et qu’il soit un saint, on obtient alors
«Cinq Guilos dé pêches»
Gratuitement. Et si on a une tante qui est bègue, et qui s’appelle Aline, il sera naturel qu’on la nomme tout simplement :
«De pêche à la line!»
Essayez de faire la même chose avec Hénault, avec Séger, avec Chatelut, vous verrez si c’est facile !
Je ne sais pas si vous avez remarqué comme ces allusions enracinent cette conférence dans les profondeurs du terroir !
Je citerai encore «Mon père et ses verres» où l’on joue une sorte de scène de ménage permanente, pleine d’entrain et de bonne humeur, et qui se termine dans une ambiance culinaire et animale tout à fait sympathique, je me permets de vous la lire :

«Rugissant par la glotte
Hr Hr fait l’un
Il a tout d’un félin
Fait l’autre
Ma mère à son tour gronde
Fait des hon hon
Ces sons aussi sont de
Lion
Alors mon père traite
De sale amie
Rosette
Celle qui fut sa mie
Que voulez-vous de plus qu’on
Vous serve-là ?»

Je trouve que le jeu sur les mots prend ici une profondeur étonnante.
Le rêve de la vie primitive s’y manifeste par la présence de deux thèmes de la vie enfantine: les plaisirs de la bouche et la compagnie des animaux. Gardons-nous bien de trouver enfantin ce langage apparemment élémentaire. C’est tout le contraire : c’est une prodigieuse maîtrise du verbe qui se manifeste ici. Le langage sérieux subit une torsion qui le ramène, à force de technique, à une feinte simplicité naïve.
Je conclurai ce chapitre par quelques mots sur «Je suis né au Chili».
Ce texte, dès sa première ligne, dessine bien l’idéal secret de Boby :

«Je suis né au Chili maman était au lit et mon papa auchi»

Ainsi la vie c’est le moment de la naissance: l’univers se limite au lit. Le langage s’articule à peine dans une sorte de bouillie Blédine pour le premier âge. Or, dès le premier moment ça se gâte :
«Mais il n’y resta pas car maman le tapa et papa s’épata»

Les syllabes s’entrechoquent, vivre devient une bagarre entre le Père et la Mère. Tout ça se termine pas trop sérieusement, mais tout de même dans le «moka» version lapointienne ou lapointue, du «Coma». Mais heureusement, il y a ce personnage féminin, cette belle Paula, qui est une sorte de masseuse-kinési thaïlandaise encore plus érotique que les rebouteuses à cul brun du Boischaut (on vous avait prévenus que j’étais régionaliste, un peu comme Boncoeur mais sans la carte du RPR), cette Paula, donc, qui vient à la rescousse et replonge le nouveau-né dans un élément étrangement doux, où les plaisirs de la bouche rejoignent le bonheur d’exister dans un monde où vraiment, comme on dirait aujourd’hui, ça baigne dans l’huile, ou en tout cas dans le saindoux, en un mot comme en deux.
Cette nourrice, digne sœur de la maman des poissons évoquée plus haut dans un brillant passage psychanalytico-mystico-philosophico-littéraire.
Après cet effort intellectuel, j’ai bien mérité un coup de pinot gris. Vous aussi. Hélas! ça n’est pas prévu. Dans une conférence, seul le conférencier boit du liquide. Le public boit les paroles du conférencier. Et vous n’avez même pas la satisfaction d’éviter la cirrhose, car malheureusement vous risquez maintenant d’attraper le sida par simple transpiration et d’être nettoyés en trois semaines alors que l’alcoolisme étale son action bienfaisante sur plus de vingt ans, la vie n’est pas juste, c’est vrai.
Je vous avais promis quelques mots sur la critique sociale de Boby en direction de l’autorité des flics. C’est vrai, elle existe, gentiment amusée dans «Monsieur l’agent», beaucoup plus nette dans «Sentimental bourreau». Ce personnage, victime d’une déformation professionnelle regrettable, continue ses activités massacrantes tous azimuts, absolument imperméable à toute réaction humaine.
Surtout, il n’est pas indifférent que l’une des plus admirables créations de Boby évoque le «rythme du fric et l’ombre des flics» par opposition au temps des copains d’abord, le bonheur tranquille des chiens fraternels, par contraste encore avec l’univers hideux des huissiers, dont les exploits ne sont pas à imiter !!!
J’en ai vu de près, croyez-moi, il n’est pas souhaitable que la race se reproduise!

Mais voilà, il y a tant de choses à chercher sur les chansons de Boby que je laisse à des vrais chercheurs pas trop chiants tout de même, le soin de continuer…

Quatrième partie: Boby est le jouet des femmes.

En principe, je devrais donc ici aborder cette délicate question. J’avais pour appuyer ma thèse une série d’arguments irréfutables :

Par exemple, je vous aurais dit que Tchita la créole est une créature littéralement affolante. Que Framboise est anti-baise: elle se joue de Boby sans en jouer. Marcelle (au féminin) lui a pris son cœur, c’est quand même vache ! Et l’ange descendu des cieux lui fait perdre la tête, qui est une partie du corps essentielle. Et je vous aurais parlé d’Insomnie où l’on empêche Boby de dormir, c’est dégueulasse !
J’aurais dit encore que Ta Katie t’a quitté résonne comme une rafale de mitraillette, que Madame Mado est sournoise, elle veut lui faire assassiner son mari au lieu d’exécuter le travail elle-même. La fille du pêcheur elle-même est dure avec ce pauvre Boby, elle ne l’attend même pas, sous prétexte que les études de médecine sont trop longues. Elle a beau traduire ça à sa manière :

«Mes deux seins c’est bien long
Il n’en reste pas moins que c’est vache !»

Y’a que Diba-Diba qui soit vraiment sympa. Malheureusement elle l’entraîne en des lieux peu propices aux passions ardentes puisque nous dit-il :
«Le thermomètre est si bas
Qu’on marche dessus»

Bon, je devais vous parler de tout ça et puis j’ai pensé à Boby. Est-ce qu’il aurait aimé qu’on vous emmerde aussi longtemps par l’intermédiaire de ses textes ?
Non.
Alors, je me suis dit, il faut que je rende à la femme un hommage, moi aussi. Même si ces salopes m’en ont fait baver…
…Excusez-moi, c’est une erreur de lecture…Je reprends :
Même si, parfois, ces créatures de rêve ont pu, par une insouciance qui fait tout leur charme, provoquer en moi quelque désagrément bien salutaire, au fond…
Et donc, je finirai par l’éloge de la grande héroïne berrichonne, la grande socialiste George Sand. Le fait qu’elle ait souhaité faire fusiller les communards en mai 1871 n’enlève rien à l’immense valeur révolutionnaire de son œuvre, car tout de même, avant George Sand, les femmes du Boischaut ignoraient la pipe…
Si ! c’est George qui leur montra qu’on pouvait fumer la pipe, si…. Avant, elles fumaient du gris qu’elles prenaient dans leurs doigts…..


Hommage à George Sand


A la voir sous la pierre sagement allongée
Je compris que c’était une jeune fille bien rangée
Se mêlant sans façon aux pauvres du village
Pas fière mais cependant séparée d’un grillage
On a beau être peuple on tient à son hygiène
Le paysan parfois se lave moins qu’les chât’laines !
Pour avoir négligé ces règles élémentaires
Tant d’autres ont contracté le mal du légionnaire !
Elle voulait montrer par ce trait de prudence
Qu’on peut fraterniser en gardant ses distances
Et je réfléchissais: la voyant sous l’humus
C’est une socialiste de la tendance Fabius…

Certes on la vit rar’ment la pioche sur le dos
Partir en sifflotant pour d’agrestes travaux
Mais, suivant longuement des yeux les moissonneurs,
Elle les soutenait très fort… avec son cœur !
Bref! pour réconforter les vaillants prolétaires
La baronne Dudevant les suivait par derrière !
Alors le laboureur voyant ses fesses rondes
Enfonçait le coutre en la glèbe profonde
Rêvant qu’il enfonçait quelque chose d’autre ailleurs
Ainsi redonnait-elle courage au travailleur !

Parfois lasse de l’art et d’la littérature
Elle disait: «Chopin, fais-moi l’coup d’la bouchure
Je sens comme une ardeur qui m’étreint l’fond d’la muse
Laisse tomber ton piano pour jouer d’ma cornemuse !»
Alors les paysans lançaient l’humeur mutine:
«On dirait qu’y a l’Chopin qui s’envoie sa Chopine !»
Et cette douce scène les portait au pinacle
Car la lune à l’Aurore est un charmant spectacle !

Mais parfois la baronne avait tell’ment d’ardeur
Qu’elle en redemandait douze fois dans la d’mi-heure
Alors les villageois hêlant Jean-Louis Boncoeur
Criaient: C’est la treizième, ça nous port’ra malheur
Ca va faire griller l’blé et pourrir les sainfoins
Jean-Lou désenvoûte-là puisque t’es si malin !
Et les bons paysans faisaient l’ signe de la croix
Sans savoir qu’ils nommaient celui d’la prochaine fois !

Quand elle se promenait dans les rues de Nohant
Elle avait cet air simple qu’ont les paysans
N’abandonnant jamais sa ceinture de flanelle
Ni ses sabots galoches ni sa paire de bretelles
Elle tirait sous sa pipe le nez sous son béret
Et afin de montrer qu’elle était libérée
Elle pissait debout juste en face du bistrot
Comme les joueurs de foot en sortant d’l’apéro
Dégageant un parfum si viril et puissant
Que lorsqu’on la voyait, on disait George Sand !
Certes, elle aurait aimé pendre les Communards
Chez un homme de gauche c’est un point d’vue bizarre
Mais quittant vers le soir son château romantique
Je sus que sa révolte était bien authentique
Comme je m’éloignais dans les rues du village
Voyant soudainement comme dans un mirage
Cette baronne si rouge dans sa vallée si noire
Ce fut mai soixante-huit que je pensai revoir !

Rolland Hénault

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